Du Mythe au mot
Mythologie et Sémiologie

Réfléchir n’est pas Penser

Le Mythe est un récit. Il raconte l’histoire enchantée de notre univers : son origine, son apparition ou sa manifestation, et sa réalité. Il figure avec son récit un monde mystérieux et les aventures de héros fabuleux.
Il est aussi une formulation : il nomme l’origine de ce monde enchanté et ses héros. Il objective son récit avec ses mots, et il emploie à ce titre des sons – des phonèmes – : quelque soit son origine, il dit son histoire avec des sons universels que les hommes prononcent depuis le grand bond oral de l’humanité.
C’est une figuration collective qui fut posée initialement par des poètes, qui prit une forme consonantique, qui fut dite avant d’être dessinée, et que les hommes se sont appropriée :
Il fut dit d’abord oralement avec des « con-sonnes », qui ne se prononcent qu’avec des voyelles, et chacune de ces consonnes était supposée être un sème : un signe, par définition signifiant.
Il était en ce sens le prétexte d’un en-seignement. En recourant aux consonnes, poètes et rhapsodes étaient supposés éclairer la signification du récit en nommant symboliquement l’histoire de notre univers et les aventures de leurs héros.

La mythologie rejoint à ce titre la sémiologie : chaque consonne comme chaque syllabe du mythe, quelque soit la langue qui l’exprime, renvoie à un sémaphore oral universel. Chaque consonne éclaire la syllabe et le mot que celle ci contribue à constituer; et chacune trouve à son tour une explication ou une légitimité dans le récit mythologique.
Comprendre « ce que parler veut dire » suppose à ce titre de comprendre les éléments phonétiques qui constituent les mots tels que les poètes les ont posés avec leurs langues consonantiques : les dénominations des mythes renvoient aux syllabes de leurs mots, de même que leurs syllabes renvoient aux consonnes qui les composent.
Chaque élément consonantique constitutif du Mot (chaque phonème) du mythe est un sème, donc un symbole: chaque consonne est destinée à signifier une notion, et chaque syllabe est une combinaison consonantique destinée à signifier un concept. Chaque consonne et chaque syllabe renvoient au mythe qui les met en perspective, et éclairent la signification de son récit ; à l’inverse, chaque mythe dit son récit en recourant aux consonnes et aux syllabes que l’Homme a élaborées pour révéler sa pensée et la faire paraître en l’exprimant.

En figurant leurs récits et en en objectivant la formulation, poètes, aèdes et rhapsodes ont posé les sons et les sèmes d’une Lexis et d’un lexique universels, qui proposent une piste dont la logique, comme le mot l’indique, est donc épistémologique. Au delà de la diversité apparente de ses récits et de la pluralité des langues qui le disent, l’écoute du Mythe conduit à constater l’universalité de ses sèmes et celle de son récit : son texte est tissé par un même fil consonantique, et les poètes anonymes qui posèrent ce fil et tressèrent ainsi leur récit employèrent les mêmes consonnes universelles pour dire l’état des choses de notre réalité : son origine, son début, son commencement, son apparition ou sa manifestation, et sa matérialité.
Quelque soit le récit ou sa formulation le Mythe nomme toujours en ce sens avec le phonème « B » du Bundahishn des perses, ou ceux du Brahma de l’Indus, du Bagua des chinois, du Bereshith des hébreux, du Bès des égyptiens, des Buri et Borr des scandinaves, du Brian des celtes, un début existentiel; de même qu’il signifie toujours une gestation – les allemands disent Gestalt – de notre univers, en recourant au sème « G » des Gunas de l’Indus, du Gan des hébreux, de l’oNo-Goro japonais, du Gwon des dogons, d’une Gonie ou d’une Gaïa des grecs, ou celui du Guinnungagap des scandinaves ; de même encore, il emploie dans tous les cas la consonne « M » du Ta-Mas de l’Indus, du Mazda perse, de Mout et de Maat les égyptiennes, d’aMaterazu la japonaise, ou de DeMeter la grecque, pour signifier l’élément matériel de la réalité manifestée.

La mythologie rejoint à ce dernier titre la philologie. L’universalité des sons et lexèmes du Mythe (consonnes, syllabes, phonèmes, et sèmes, selon la discipline de celui ou celle qui les envisage) avec lesquelles poètes, aèdes et rhapsodes ont nommé l’histoire enchantée de l’univers et de ses héros, tisse un fil phonémique unissant les hommes dans l’espace et dans le temps depuis le grand bond oral de l’humanité. La dimension phonémique du Langage oral rappelle à cet égard que la phonétique lie entre elles les langues qui en sont dérivées. Au delà de la pluralité des langues des récits et de la confusion qu’elle peut exprimer, elle renvoie aussi à une universalité : Babel, symbole de la confusion, est aussi dans cette hypothèse le symbole d’une diversité culturelle témoignant de l’articulation et des manières plurielles de systèmiser les combinaisons de phonèmes universels.
La consonne « F » qui initialise les dénominations de la phonémie (Ph) et de la philologie témoigne en ce sens, à l’image d’Aphrodite, d’Hephaïstos et de Philemon, d’un Fil d’Ariane - mais aussi d’un Feel ou d’un Fold (qui enclôt et qui plie) anglo saxons, d’un (die) Falte allemand (le pli qui lie) -, ou d’un Philos grec, qui lie les langues entre elles en vertu de leurs phonèmes communs. Le mythe de ce dernier point de vue, à l’image du Phénix, renvoie à la renaissance permanente d’un Langage oral.

La mythologie, en dépit de la pluralité des origines géographiques des mythes - que ceux ci soient Asiatiques, Perse, Mésopotamiens, Méditerranéens, ou Européens (Scandinave, mais aussi Scythe et Celte) -, est de ce dernier point de vue le socle d’un répertoire phonémique et symbolique universel : que la Parole fut révélée à l’Homme, ou qu’elle résulte d’une créolisation progressive, au cours de laquelle les hommes donnèrent un signification à leurs cris, elle fut dite par le mythe, et celui ci est à ce titre le pré-texte d’une interprétation sémantique de celle là.
Elle rappelle que les hommes recourent à un même Langage quoiqu’ils aient élaboré des langues différentes, et que ce Langage oral est à son tour porteur d’une dimension symbolique. Le lexique consonantique renvoie au lexique mythologique, et le lexique syllabique témoigne à son tour de la dimension symbolique des combinaisons de consonnes. Dit avec le mot des grecs, le Mythe est Muthos : récit et formulation à la fois, et il renvoie à la manière des poètes de Poser leur poésie – le verbe Poïein, la forme Poïema, et la qualité Poïetès des grecs –, et de la faire exister avec un Lexique ; il suggère en ce sens, non pas seulement de le penser ou de raisonner, mais de le réfléchir et de l’envisager comme le pré-texte d’une interprétation sémiologique.

Les mots du Mythe, et au delà, les syllabes qui les structurent et les consonnes élémentaires qui radicalisent les syllabes, sont en ce sens, à l’image du Shibboleth : un mot de passe, ou le sème d’une représentation. A l’image des Guileadites de Galaad qui distinguaient leurs ennemis en leur demandant de prononcer le mot « Shibboleth », imprononçable par les Ephraimites qui le prononçaient Sibboleth (Le Livre des Juges 12-5-6), le mot du mythe révèle une clef de l’interprétation des langues.

En faisant paraître l’idée réfléchie, la notion ou le concept pensés, donc en les « représentant » oralement – le symbole étant une représentation analogique, et la parabole étant par définition une représentation parallèle -, la Parole du Mythe a actualisé en la figurant une lexis consonantique universelle. Elle est à ce dernier titre le pré-texte d’une réflexion et celui de la pensée.

Dit avec les mots d’Alain Danielou, « l’esprit humain est enchainé à la forme perceptible et ne peut atteindre l’informel, ne peut le concevoir, encore moins le fixer », et la représentation orale proposée par le Mythe est à ce titre le prétexte de la Réflexion et de la Pensée :

Réfléchir suggère de chercher l’idée ou l’eidos de sa forme.
Penser conduit à la poser.
Parler revient à la figurer objectivement et oralement pour la re-présenter: A l’image du bouclier d’Athena qui révèle à Persée en la réfléchissant une Méduse qui ne doit pas être perçue sous peine d’être pétrifié, le Poïein du Mythe nous assiste dans la réflexion d’une idée a priori imperceptible.
A l’image de Protée maîtrisé à Pharos par Menelas, l’époux de l’Hélène troyenne, à l’opportunité de son retour d’Illion, la forme que prend sa formulation – sa Poïema – nous aide à penser la forme qu’elle prend a posteriori.

Le mot du mythe suggère en ce sens de passer au delà de la pluralité de son apparence, pour tenter de retrouver derrière la figuration dessinée par ses mots, le sème occulté par son entendement.