Le Comment ?

Vade me cum

Il s’agit d’un jeu : Croiser les mots.

Le début du jeu est à la fois un constat et une question. Il renvoie à l’ouvrage de Claude Levi-Strauss : « Tristes Tropiques », (Paris, Plon, 1955, Pocket, 2005), et plus particulièrement à une phrase de son livre : “L’ensemble des coutumes d’un peuple est toujours marqué par un style; elles forment des systèmes. Je suis persuadé que ces systèmes n’existent pas en nombre illimité, et que les sociétés humaines, comme les individus dans leurs jeux, leurs rêves ou leurs délires, ne créent jamais de façon absolue, mais se bornent à choisir certaines combinaisons dans un répertoire idéal qu’il serait possible de reconstituer”.

Il conduit à poser la question de la possibilité de ce « Répertoire », et son but consiste à tenter de comprendre la construction de nos mots, voire à en créer de nouveaux.

Le jeu suppose d’avoir accès à une banque de données qui serait de nature à légitimer la question, dans laquelle chacun peut piocher et de tenter de s’approcher au plus prés de ce répertoire universel suggéré par Claude Levi Strauss, pour comprendre, si cela est possible, « ce que parler veut dire ».

Cette banque de données est proposée par plusieurs auteurs illustres :

Les deux premiers renvoient aux fondateurs français d’une méthode de lecture pluri disciplinaire :
Le premier, Georges Dumezil, est incontournable, parce qu’il est l’inventeur de la méthode comparative : il rapproche les récits mythologiques du double point de vue de l’espace et du temps, pour faire paraître des thèmes communs et universels. L’œuvre de Georges Dumézil est importante et plurielle, et elle renvoie aussi bien aux mythes qu’à leurs mots. Parmi nombre d’autres ouvrages, sa production éditoriale la plus récente a été publiée chez Presses Universitaires de France, (« Les Dieux Indo Européens », 1952, « Les Dieux des Germains, 1959), chez Editions Payot ( « La Religion Romaine Archaïque », 2ème édition, 1974), et chez Gallimard (« Mythe et Epopée », « L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens », 1968, « La Courtisane et les Seigneurs Colorés et autres essais », 1983, « Du mythe au roman » 4ème édition 1987, « Mythes et Dieux de la Scandinavie ancienne », 2000).
Le second, Emile Benveniste, a succédé à Georges Dumézil et approfondi sa méthode et son constat, mais en adoptant un point de vue plus orienté encore par la linguistique. Il a plus particulièrement résumé et livré le résultat de ses réflexions dans un ouvrage en deux tomes plus accessible, « Problèmes de linguistique générale » 1 & 2, Collection Tel, Editions Gallimard, 1974) très orienté par sa culture linguistique.
L’un et l’autre ont fait des mots, directement ou indirectement, l’objet de leurs analyses, et ont inscrit ainsi l’approche du mythe dans une perspective linguistique; mais chacun d’eux s’est attaché cependant prioritairement aux dénominations et à la structure des mots du Langage oral, renvoyant à cette opportunité par l’étymologie et la philologie à la sémiologie, à la différence des linguistes qui en revanche s’attachent d’abord à la syntaxe grammaticale et aux phrases, à l’image de Noham Chomsky (« Structures syntaxiques », Collections Points, Le Seuil, 1969 ; « Le Langage et la Pensée », Petite Bibilothèque Payot, 1969).
Ils se distinguent donc par leur approche linguistique des mots du mythe, et supposent en conséquence d’être lus à l’éclairage des commentaires des linguistes, ne serait ce par exemple que pour comparer les syntaxes dans la manière de nommer le genre, donc les articles (ou de n’en nommer aucun comme le fait la langue anglaise), comme dans celle de situer respectivement (ou d’omettre) le verbe, le sujet et le complément d’une phrase.

Pour comprendre les mythes et les mots, il est aussi d’autres auteurs illustres dont les ouvrages renvoient à des traditions spécifiques :
Alain Daniélou a écrit plusieurs ouvrages sur l’Inde, mais il en a livré un plus particulièrement spécialisé sur les « Mythologies de l’Inde » (Collection Champs, Flammarion 1992). Celui ci est difficile d’accès et suppose d’être lu plusieurs fois, mais il s’agit d’une somme, sinon exhaustive en tous cas très dense, dans laquelle se trouvent tous (ou presque) les mots et les dénominations que les langues Védique et Sanscrite nous ont laissés en héritage.
Isha Schwaller de Lubitch a livré une œuvre comparable, également publiée chez Flammarion (Collection Champs, 1956) à la différence prés, que son ouvrage, « Her Bak », tout aussi difficile d’accès, a pour objet l’Egypte antique. A son tour, son ouvrage livre une documentation relative à l’Egypte et une mise en perspective des dénominations que le mythe a proposées.
Le troisième est un auteur plus versé dans l’ésotérisme, Antoine Fabre d’Olivet, qui a livré une introduction et une traduction des « Vers dorés de Pythagore », et un ouvrage sur la « Langue Hébraïque Restituée », republié en l’occurrence par les Editions L’Age d’Homme (Collection Delphica, 1999), dans lequel il expose sa manière de lire l’Hébreu et la Torah, en détaillant aussi bien la grammaire que les signes de l’alphabet hébraïque et des alphabets sémitiques.
G. Boyer et Robert-Jacques Thibaud ont pour leur part consacré leurs travaux aux récits nord européens : Le premier a livré de nombreux ouvrages, mais il a opportunément publié un résumé de sa pensée (« Mythes et Religions Scandinaves », Riveneuve Editions, 2012), et offert ainsi à ses lecteurs une interprétation très élaborée des traditions nord européennes en nommant les héros de cette tradition et en les mettant en perspective. Le second a livré un dictionnaire de mythologie et de symbolique nordique et germanique, très fourni (« Dictionnaire de Mythologie et de Symbolique Nordique et Germanique », Editions Dervy, 1997, 2009) qui présente l’avantage de se lire comme un dictionnaire.
Le dernier, Paul Diel a inscrit la lecture du mythe, et plus particulièrement celle du mythe grec, dans une perspective psychanalytique. La surconscience est alors envisagée comme une instance psychanalytique de nature à expliquer l’hégémonie culturelle du mythe voire sa dimension « générative » (« La Divinité », « Le symbole et sa signification, Le symbolisme dans la mythologie grecque », Petite Bibliothèque Payot, 1971), et ce que Ruppert Sheldrake nomme la Mémoire partagée.

Trois auteurs s’exprimant dans la langue de Shakespeare permettent de compléter la compréhension des mots :
Le premier est John Ayto qui a livré un ouvrage de vulgarisation sur l’origine des mots : « Word Origins », (A&C Black Publishers 1990, 2005). Son ouvrage, présenté comme un dictionnaire, présente l’avantage de proposer une histoire étymologique des principaux mots anglo-saxons, et permet de les rapprocher à cette occasion des mots français ou nord-européens pour en interpréter une comparaison.
Le second John Campbell est un professeur américain dont la production éditoriale a donné lieu à un engouement spectaculaire, et dont l’un des ouvrages « Le héros aux mille visages » (Editions Oxus, 2010 –Editions J’ai lu, Bien Être, 2016) résume son approche de la mythologie. Il présente l’avantage d’envisager le Mythe avec les mots de sa langue, mais aussi et surtout d’offrir un point de vue anglo saxon, très éloigné, pour ne pas dire opposé parfois, aux thèses académiques des penseurs des pays méditerranéens.
Le troisième Calvert Watkins, professeur de Linguistique à Harvard a publié un ouvrage de vulgarisation sur les « Racines et les bases indo européennes de l’Héritage Américain » (Houghton Miffin Harcourt Publishing, 2011) : il somme les racines ou les bases indo-européennes des mots contemporains en s’appuyant notamment sur les travaux de J. Podgorsky et présente l’avantage d’en proposer une interprétation très américaine.

Le Mythe étant d’abord une histoire enchantée de notre univers et de l’Homme, il est bon aussi de le mettre en perspective pour mieux saisir le sens des mots. A nouveau, trois penseurs français proposent une aide pour poser la question :
Le premier, René Thom, est un mathématicien, et il a tenté d’élaborer une « Théorie des catastrophes » de nature à éclairer objectivement la catastrophe originelle : notre Big Bang. Sa pensée est résumée dans un ouvrage dont le titre est évocateur : « Prédire n’est pas expliquer » (Entretiens avec Emile Noël, Editions Eshel 1991, Collection Champs, Flammarion, 1993) dans lequel il explicite et différencie le cataclysme et la catastrophe, en suggérant de distinguer le Bord du Big Bang du Port transformé qui en est paru.
Le second, Gilles Deleuze, est un philosophe. Il a livré une analyse de la pensée de Leibnitz, et au delà, une analyse de la manière de penser que suggère la langue germanique. Sa manière d’envisager la catastrophe et la métamorphose qui caractérisent notre univers est résumée dans un ouvrage exceptionnel: « Le Pli. Leibnitz, le pli et le baroque », (Collection Critique, Les Editions de Minuit, 1988) dans lequel il s’adosse aux mots de Leibnitz et de Heidegger pour faire mieux comprendre la pensée baroque des nord européens et éclairer – explicare - ainsi indirectement le mythe germano-scandinave.
Le troisième, Pierre Teilhard de Chardin, est un religieux et un paléontologue, longtemps mis à l’index par l’Eglise, mais néanmoins inspirateur de nombre d’auteurs anglo-saxons contemporains célèbres. Sa pensée, imprégnée de la culture asiatique, est plus particulièrement résumée dans un ouvrage dédié au « Phénomène Humain » (paru en 1955, et réédité à plusieurs reprises au Seuil, notamment dans la collection Sagesses, Points, et en format PDF), par ailleurs remarquablement commenté par Jean Onnimus, dans lequel son énonciation et son explication de la « Noogenèse » et de la « Noosphère » contribuent à mettre en perspective l’Homme et la conscience au cœur de l’évolution de notre univers, dans une « introduction à une explication du monde ».

Rien n’empêche de confronter ces lectures et les mots qu’on y glane à des ouvrages plus accessibles, mais aussi souvent très complets, quoique parfois négligés parce qu’ils sont supposés s’adresser à un public plus jeune. Il en est ainsi par exemple des deux tomes de « Mythologies » publiés par un groupe d’auteurs chez Actes Sud Junior (« Les Naissances du Monde », composées de mythologies précemment publiées chez Actes Sud Junior), et de « Mythologies » (Encyclopédie Junior, Fleurus Editions, 2004) qui permettent de mettre en perspective les mythes et leurs mots.
Rien n’empêche non plus de parcourir quand la nécessité l’impose, le « Dictionnaire des symboles » de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant (Editions Robert Laffont et Editions Jupiter, 1969), pour se procurer un autre lumineux éclairage sur les mythes, coutumes, et figures.
Rien n’empèche enfin de questionner Wikipedia qui pose des définitions pour comprendre mythes et mots ; à la reserve prés que le jeu consiste à savoir poser la « Question », pour ne pas s’égarer et s’assurer de la recherche de la bonne définition. L’art en l’espèce consiste à questionner une source d’informations exceptionnelle, non à glaner des réponses.

Enfin, pour repérer plus précisément les sons et les lettres qui les dessinent, sans lesquels les mots sont peu compréhensibles, Patrice Serres a écrit un ouvrage érudit mais accessible, dans lequel il retrace l’histoire de ces sons, de ces lettres et de leurs dessins, mêlant les lettres hébraïques et les pictogrammes chinois. Il livre sa thèse sur le « Mystère de l’ordre alphabétique » (Presses du Chatelet, 2010), et donne ainsi des indices à celui ou celle qui souhaite mettre les récits mythologiques en perspective.
Son ouvrage permet de situer autrement les phonèmes et leur universalité : il constitue une piste de nature à permettre la critique de l’ordre alphabétique qui est familier aux occidentaux, et qui est pourtant inconnu d’une population aussi cultivée que la Chinoise.
Il éclaire aussi la manière dont consonnes et syllabes sont ordonnées ici, puisque leur présentation ne suit pas la séquence alphabétique méditerranéenne traditionnelle dont nous avons héritée des phéniciens et des grecs, mais en revanche s’articule en fonction d’une taxonomie en trois plans, qui serait un héritage de la mythologie: les consonnes ou syllabes qui renvoient à l’Origine cosmogonique de notre univers, celles qui renvoient au processus de la manifestation – l’apparition de la Nature -, et celles enfin qui se rapportent à la Matérialité de notre monde Manifesté.

A vous de jouer. Avec plaisir, car il s’agit de réflexion (par définition personnelle) et de poésie, et chacun est libre de son interprétation. Rien n’est affirmé, ni posé de façon définitive. Il s’agit seulement d’une méthode originale et sans prétention de lecture des mythes et des mots afin de tenter de comprendre ce que « Parler veut dire » ; et d’une tentative de recherche de l’universalité de la Parole.

Date limite du jeu : 1984
Au delà, vient le temps du « Newspeak » de Big Brother qui conduit à la répression de la réflexion (« 1984 » Georges Orwell, Martin Secker & Warburg, 1950, Penguin Books, 1954).